Fidélité
Si j'ai bien mérité ce châtiment suprême
Reconnaissez, Madame, toutefois, que vous-même
Vous étiez seule en cause à ce tourment profond
Qui agita mon âme en ce fou tourbillon.
Mais oublions cela. Pensons à l'avenir,
A ces heures, ces jours qui nous verront vieillir.
Que serai-je pour vous, Madame, lorsque les ans
L'un à l'autre passés au sablier du temps
Déposeront les rides abîmant le visage,
Et que vos mains osseuses, déformées par leur âge,
S'agripperont encore aux bras du vieux fauteuil
Dans lequel, jadis, où, empreinte d'orgueil,
Vous m'aviez rédigé l'impudente missive
Qui me plaça soudain devant l'alternative.
Je n'avais plus le choix : renier mon amour,
Ce désir était ordre et sans voie de retour.
Ne plus songer à vous, oublier à jamais,
De mon âme effacer tout, même vos portraits;
Il me fallait bannir du profond de mon cœur
Notre amour, notre vie, objets de mon bonheur.
Je ne pouvais m'astreindre à vous renier, Madame,
Car agissant ainsi j'aurais vendu mon âme
Puis, tous ces sentiments qui animaient mon être
Ne pouvaient s'effacer par une simple lettre
Même émanant de vous. Qu'auriez-vous donc pensé
Si, suivant votre vœu, je m'étais empressé
D'obéir à vos ordres, ainsi, tout bonnement ?
Refuser ce parjure et rester votre amant
Je préférais ce choix plus digne à mon honneur
Qu'un reniement honteux qui m'aurait fait horreur,
Je devais préserver en moi le souvenir
De ces années vécues et, pour y parvenir,
Gardant jalousement, tel un précieux trésor,
Cette image chérie toute auréolée d'or,
Reflets de ce visage qui me fut, tour à tour,
Emblèmes de la vie, de la joie, de l'amour.
Certains pourront penser qu'il fut un substitut
Qu'importe, en vérité, j'aurais atteint mon but.
Car si votre abandon fut pour moi très cruel
Vous m'avez immolé sur un bien bel autel.
A présent que j'arrive au déclin de ma vie
Je me prends, quelquefois, à dire : "Ma chérie".